Le genre Gambierdiscus est capable de synthétiser plusieurs familles de toxines dont les principales: l’une liposoluble, les ciguatoxines (CTXs) et l’autre hydrosoluble, les maitotoxines (MTXs). Il est généralement admis que seules les CTXs sont impliquées dans l'intoxication de type ciguatéra.

Chez l’homme, la dose de toxines susceptible de provoquer les symptômes chez 50% des consommateurs est estimée à 2 ng/kg de poids corporel ( soit 2/100 000 ème de gramme!), ce qui classe ces toxines parmi les plus puissantes.

D’autres molécules comme les acides gambiériques, qui montrent une activité antifongique, et le gambiérol, ont également été isolées des cultures de la micro-algue, mais leur implication dans l'intoxication chez l'Homme reste à être confirmée.

On peut s’interroger sur l’intérêt écologique pour Gambierdiscus de produire ces toxines. Une des hypothèses proposées est que ces métabolites procurent un avantage écologique (e.g. mécanisme de défense) vis à vis de compétiteurs potentiels ou de prédateurs.

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LES CIGUATOXINES

Les ciguatoxines (CTXs) sont des molécules polyéthers polycycliques, liposolubles, de poids moléculaire compris entre 1.023 et 1.159 Da. Il existe 3 grandes familles de CTXs réparties dans les 3 grandes zones affectées par la ciguatéra: les ciguatoxines du Pacifique ou P-CTXs, celles des Caraïbes ou C-CTXs et celles de l’océan Indien ou I-CTXs. Les P-CTXs sont composées de 13 cycles éthers. Les C-CTXs possèdent, quant à elles, 14 éthers cycliques. A ce jour, la structure des I-CTXs n'est toujours pas connue. Au total, on dénombre plus d’une quarantaine de CTXs différentes isolées principalement à partir des cellules de Gambierdiscus et d'organismes marins contaminés.

Le panel des CTXs présentes dans les poissons contaminés peut varier significativement d’une espèce à l’autre, une même espèce pouvant héberger plusieurs CTXs différentes. On  parle ainsi de « profil toxinique » pour un étage trophique donné.

Les CTXs algales produites par Gambierdiscus subissent, en effet, des transformations depuis leur accumulation au niveau des poissons herbivores jusqu’à leur passage dans les poissons carnivores. Ce faisant, elles acquièrent une polarité de plus en plus élevée qui s’accompagne parallèlement d’une augmentation de toxicité. Ainsi, la P-CTX-1B retrouvée uniquement chez les carnivores est 30 fois plus toxique que la P-CTX-4B présente chez Gambierdiscus. Ce phénomène de biotransformation est à l’origine de la très grande diversité des profils toxiniques observés selon les poissons et l’étage trophique considérés.

L’ensemble de ces données illustre, en partie, la complexité des mécanismes à l’origine des importantes variations observées au niveau de la sévérité des flambées de ciguatéra, d’une zone géographique à l’autre.

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Ciguatoxine P-CTX1B (extraite de carnivore)

 

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MODE D'ACTION

Altération de la conduction nerveuse

Une des conséquences connue de la fixation des CTXs sur les Canaux Sodiques Dépendants du Potentiel (CSDPs), qu'elles maintiennent dans un état ouvert permanent, est l'apparition de décharges spontanées et/ou répétitives de potentiels d'action. L' augmentation marquée de l’excitabilité cellulaire, générée par la fixation des CTXs, active à son tour une libération soutenue de neurotransmetteurs (jusqu’à épuisement) au niveau des terminaisons nerveuses, provoquant ainsi une modification de l’efficacité synaptique voire une déficience de la transmission des messages nerveux.

Altérations morphologiques cellulaires

En conséquence d'une entrée massive d’ions Na+ dans les cellules, suite à la fixation des CTXs,  une augmentation importante du volume des nœuds de Ranvier des fibres nerveuses myélinisées et des terminaisons synaptiques, est observée, résultant d'un appel de molécules d'eau compensateur, du milieu extracellulaire vers le milieu intracellulaire.

L'ensemble des modifications induites par les CTXs (phénomènes de dépolarisation et d’hyper-excitabilité, augmentation du Na+ et Ca2+ intracellulaires, libération anarchique de neuromédiateurs, gonflement lié à l’afflux d’eau, etc), associé à la très large distribution de leurs cibles biologiques au sein de l'organisme, est à l’origine de la diversité des signes cliniques observés chez le malade.

Ainsi, au niveau neurologique, la multitude de symptômes rencontrés lors d’une intoxication ciguatérique tels que les atteintes motrices, sensitives, cérébelleuses, psychiatriques, est une conséquence directe de l’altération des fibres du système nerveux périphérique, central et autonome. Au niveau digestif, c’est le niveau élevé de Ca2+ intracellulaire qui serait à l’origine des diarrhées profuses. Au niveau cardiaque, l’action des CTXs s’effectue par l’intermédiaire du système nerveux autonome, la bradycardie et l’hypotension étant liés à une hyperstimulation parasympathique et à un faible tonus sympathique. Au niveau musculaire enfin, l’augmentation intracellulaire de Ca2+ génère une augmentation de la fréquence et de l’intensité des contractions musculaires, tandis que les décharges de potentiels d’action spontanés et répétitifs induisent, elles, des contractions musculaires désordonnées. Ces effets sont d’autant plus importants lorsqu’ils concernent le muscle cardiaque puisque ce sont à la fois les nerfs irriguant le cœur et le muscle cardiaque qui sont touchés.

Sites et modes d'action des ciguatoxines. (A) Dans les neurones moteurs et sensoriels, les ciguatoxines provoquent une activation persistante des canaux Nav (1) et bloquent les canaux Kv (2). Cela provoque à la fois une dépolarisation de la membrane (3) et conduit à une décharge de potentiel d'action spontanée et répétitive (4). La charge de Na+ qui en résulte provoque un gonflement des axones, des terminaisons nerveuses et des cellules de Schwann périsynaptiques (5). (B) Au niveau des synapses, les ciguatoxines induisent une augmentation de la concentration intracellulaire de Ca2+ via la libération de Ca2+ médiée par InsP3 à partir des réserves internes (6) ou via l'activation des canaux Cav en raison de la dépolarisation terminale (8). De plus, les concentrations intracellulaires de Ca2+ augmentent en raison d'une altération du gradient de Na+ impliquant l'échangeur Na+/Ca2+ (7), effet qui se produit également dans les myocytes cardiaques. La décharge de potentiel d'action initiée dans les axones induit une libération répétitive, synchrone et asynchrone de neurotransmetteurs au niveau des synapses et de la jonction neuromusculaire (9), induisant des augmentations et des diminutions transitoires du contenu quantique au niveau des synapses (10). De plus, les ciguatoxines altèrent le recyclage des vésicules synaptiques, entrainant une diminution du pool de vésicules de neurotransmetteurs disponibles pour la libération. Par Nicholson et Lewis, 2006

 

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QUE DEVIENNENT LES CIGUATOXINES DANS L'ORGANISME?

Après leur ingestion, les CTXs vont circuler dans le système sanguin durant quelques heures/jours, tandis qu'une partie sera directement excrétée via les urines et les fèces.

En raison de leur nature lipophile, les CTXs non excrétées vont diffuser et se fixer dans différents organes et tissus, notamment dans le foie, les muscles, la graisse et le cerveau.

 

Si le mode et les délais de "détoxification" des CTXs du corps humain sont encore inconnus, des expériences de toxico-cinétique menées sur des organismes marins ont démontré que l'élimination totale des toxines était possible mais que le processus était long (plusieurs mois, voire années).

Aujourd’hui, aucun traitement issu de la pharmacopée occidentale, capable d'agir spécifiquement sur  l’élimination des toxines, a encore été identifié.

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